La profession d’avocat attire toujours de plus en plus, en témoigne les bancs des CRFPA qui ne désemplissent pas. Pourtant, pour de nombreux collaborateurs, l’enthousiasme d’embrasser cette profession exigeante peut être de courte durée. Aux managing partners d’apprendre à les retenir.
Mode d’exercice professionnel, officiellement dépourvu de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité à un cabinet, la collaboration concernait en 2014, 29,2 % des 60 223 avocats répartis sur tout le territoire français et recensés par l’Observatoire du Conseil national des barreaux. Des chiffres en constante augmentation, qui ne reflètent pas le malaise de ces avocats collaborateurs.
Un statut a priori bien encadré. S’absenter, partir plus tôt, prendre des jours de congés pour un dossier personnel ou pour des raisons relevant de la vie privée, voici ce qui peut être source d’angoisse pour de très nombreux collaborateurs. Pourtant, le contrat de collaboration libérale, dont un exemplaire est contrôlé par l’ordre des avocats auquel le collaborateur est inscrit, encadre parfaitement ce statut, en tout cas en théorie. Le Conseil national des barreaux, les 11 et 12 avril 2014, lors de son assemblée générale, avait d’ailleurs modifié l’article 14 du Règlement intérieur national (RIN) afin de permettre au collaborateur libéral de mieux concilier sa vie personnelle et son activité professionnelle. De plus, depuis cette date, la notification de la rupture du contrat de collaboration, qui n’a pas besoin d’être motivée, ne peut intervenir durant une période de six mois à compter de l’annonce de l’indisponibilité du collaborateur pour des raisons de santé. Seule exception à ce principe : un manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé. Depuis 2012, il est aussi possible pour ces avocats de contracter une assurance « perte collaboration » de l’ordre des avocats de Paris.
Des évolutions saluées, mais bien loin d’être suffisantes. Les dérives continuent. En effet, tandis que la cour d’appel de Paris vient d’effectuer un revirement de jurisprudence, dans un arrêt du 27 janvier 2016 (CA Paris, 27 janv. 2016, n° 13/21837) estimant que la rupture d’un contrat de collaboration peut se faire sans motif et sans motivation sous réserve de toutediscrimination, les avocats de moins de 10 ans de Barreau continuent de quitter la profession. L’Association française des juristes d’entreprise estime à 19 %, sur les plus de 16 000 juristes d’entreprise comptabilisés, ceux titulaires du CAPA. Un chiffre non négligeable, en constante augmentation ces dernières années. Déçus par des expériences difficiles, les collaborateurs se tournent vers l’entreprise, pensant ainsi y trouver un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Les raisons sont connues: une charge de travail trop importante, la pression de la facturation à tout prix, le manque de temps pour sa vie personnelle, l’insécurité et l’absence de perspective issues d’un tel statut. La concurrence accrue du marché du droit n’a fait qu’amplifier le phénomène. Les témoignages ne manquent pas et sont tous plus édifiants les uns que les autres, allant de la simple question «ai-je le droit de prendre des congés payés? » à de véritables cas de harcèlements.
Pourtant, les cabinets « mauvais élèves » peu respectueux des droits de leurs collaborateurs ne sont pas beaucoup menacés ; rares sont ceux qui sont dénoncés publiquement. La méthode du « name and shame », utilisée dans le monde de la finance et consistant à livrer au grand public le nom des responsables pour littéralement « leur faire honte », est très loin d’exister dans la profession.
Ce qui peut s’avérer étonnant tant l’on sait à quel point la marque employeur, aussi bien interne qu’externe, est importante pour les cabinets.
LÉONORE BOCQUILLON, AVOCATE, RESPONSABLE DE SOS COLLABORATEURS
Transiger au lieu de dénoncer publiquement. Les collaborateurs victimes d’abus sont encore peu nombreux à les dénoncer publiquement. « De nombreux collaborateurs hésitent ou renoncent à engager une action à l’encontre de leur cabinet, craignant que cette action soit connue d’autres avocats et qu’elle les empêche de retrouver une collaboration », regrette Léonore Bocquillon, avocate, responsable de SOS Collaborateurs. La procédure de demande de requalification du contrat du travail est très lourde pour un collaborateur. Aucune requalification n’a d’ailleurs été retenue par l’ordre de Paris depuis le 17 mai 2010. Les instances encouragent, en effet, très fortement les parties à transiger. « À Paris, les représentants du bâtonnier ont une véritable volonté d’aider les parties à transiger et à mettre un terme à leur différend », explique Léonore Bocquillon. Une situation que dénonce Matthieu Bourdeaut : "La compétence exclusive de l’ordre des Avocats pour les litiges professionnels est un obstacle quasi insurmontable pour les collaborateurs souhaitant faire valoir leurs droits. À titre d’illustration, le rejet récent, par une décision rendue, le 25 novembre dernier, par la juridiction du bâtonnier de Paris, d’une demande de requalification ainsi motivée : "Le collaborateur libéral a la possibilité de développer son activité, soit par la création et le développement d’une clientèle personnelle, soit dans un investissement au sein du cabinet avec la perspective de devenir associé "".
Des associations syndicales à l’écoute des collaborateurs. C’est en prenant en compte ces raisons et témoignages que l’UJA de Paris a mis en place, dès 2000, SOS Collaborateurs, un service d’aide et d’écoute bénévole au bénéfice des jeunes collaborateurs libéraux et salariés,ainsi que des élèves avocats en stage. Ces deux dernières années, les six avocats actifs au sein du service ont eu à traiter plus de 450 questions et sollicitations. « Le service SOS Collaborateurs est directement saisi par des collaborateurs en situation de souffrance. Nous les rencontrons et nous les assistons », détaille Léonore Bocquillon. Suivant ce mouvement, en 2011, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats a créé, le 1er octobre 2011, le groupement national de défense des collaborateurs. Objectif affiché: mailler parfaitement le territoire national afin que toutes les demandes des collaborateurs puissent trouver une réponse de proximité.
“ Les dommages d’une collaboration difficile peuvent se faire sentir durant plusieurs années” Il n’est, en effet, pas plus aisé en province qu’à Paris de se plaindre auprès de son bâtonnier d’un contrat de collaboration qui n’en porte que le nom. Les collaborateurs peuvent aussi se tourner vers le syndicat Manifeste des avocats collaborateurs (MAC), représenté au CNB et à l’ordre de Paris. Une aide bienvenue, mais pour certains, encore insuffisante. Les dommages d’une collaboration difficile peuvent se faire sentir durant plusieurs années. « Après plusieurs années de gestion de ce service, il me paraît impératif de ne pas rester trop longtemps dans un cabinet où la collaboration se passe mal. Pour éviter qu’ils ne soient traumatisés par une expérience malheureuse, j’incite souvent les collaborateurs à changer de cabinet le plus rapidement possible », conseille la responsable de SOS Collaborateurs. Comment se relever après avoir été victime de harcèlement, d’une rupture soudaine non motivée après plusieurs mois ou années à se dédier entièrement au développement d’un cabinet? Quitter la profession n’est pas la solution pour lesquels tous optent.
Des associés répondront que c’est ainsi qu’ils ont appris le métier; d’autres, anciens collaborateurs victimes, diront que cette expérience a été le déclic pour monter leur propre structure car le métier d’avocat, lorsqu’il est effectué de façon tout à fait indépendante, reste passionnant.
Le tabou de la collaboration salariale. 61 % des jeunes avocats parisiens optent pour une collaboration libérale: c’est ce qui ressort du dernier sondage réalisé par l’Union des jeunes avocats (UJA) de Paris, publié prochainement.
L’avocat est libre et indépendant, il ne peut pas en être autrement. Pourtant, dans les faits, des collaborations libérales ressemblent à des collaborations salariées déguisées. « De manière notoire, le statut de collaborateur libéral dissimule fréquemment la condition de salarié des avocats dans les cabinets. Mon expérience, les nombreux témoignages reçus et les dossiers qui m’ont été confiés, révèlent trop souvent des situations extrêmement graves (pressions, harcèlement, asphyxie financière) », révèle Matthieu Bourdeaut, associé gérant du cabinet B2A, et fondateur de SCL, une communauté d’avocats défendant leurs confrères devant les instances ordinales.
CAROLINE LUCHE-ROCCHIA, ÉLUE UJA DU CONSEIL DE L’ORDRE DE PARIS, CHARGÉE AU CO DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA COLLABORATION
Les objectifs de facturation, parfois fixés entre 10h et 14h par jour, représentent de réels obstacles au développement d’une clientèle personnelle, exigée par le statut de collaborateur libéral. Appelée dictature du « time-sheet », ce mode de facturation concerne encore 70 % des collaborateurs, selon le sondage UJA. « Une grande majorité des cabinets d’affaires utilisent les time-sheet comme un outil de management axé principalement sur la rentabilité à court terme, ce qui est inconciliable avec les principes de l’article 14 du RIN », signale Caroline Luche-Rocchia, élue UJA du conseil de l’ordre de Paris, chargée récemment par la vice-bâtonnière, Dominique Attias, d’établir des états généraux de la collaboration. La feuille de temps a, petit à petit, été transformée en un moyen de contrôle de la rentabilité d’un collaborateur et, tout simplement, du travail de l’avocat sur les dossiers du cabinet, alors qu’il est à l’origine un simple outil de facturation. «Dans les pays anglo-saxons il existe une véritable réflexion aboutissant à dépasser la culture du temps passé en tant que tel au profit de la valeur ajoutée. Il faut lancer cette réflexion auprès des cabinets d’affaires français», propose Caroline Luche-Rocchia. De plus, certains avocats associés craignant souvent une dispersion de leurs collaborateurs s’ils disposent d’une clientèle personnelle effective, n’hésitent pas à les inciter à apporter ces clients au cabinet. Il est alors vivement recommandé de formaliser par écrit cet apport de clientèle personnelle, de s’accorder sur le montant de la rémunération et, surtout, de s’entendre sur la personne responsable du dossier. Il est important que le collaborateur qui accepte une telle proposition sache qui va superviser son propre client et le rôle qu’il va pouvoir jouer dans son dossier. Conscients de la difficulté de se consacrer à la fois au cabinet et à une clientèle personnelle, des collaborateurs, souvent seniors, voyant s’éloigner l’association et souhaitant un peu plus de sécurité, font le choix du salariat. « Les avocats les plus jeunes sont les plus nombreux à privilégier le statut libéral. Plus le temps passe, plus les collaborateurs semblent préférer la stabilité d’un statut salarié. La grande motivation des débuts semble, à l’épreuve de la pratique, céder la place à une résignation certaine ... » confirme l’élue UJA au conseil de l’ordre de Paris. Pourquoi alors ne pas encourager les cabinets à plus de transparence sur ces statuts?
Satisfaire ses collaborateurs pour mieux les fidéliser. Selon un sondage Ifop barreau de Paris, rendu public lors de l’Université d’hiver 2014, 20 % des associés disent rencontrer des difficultés dans le management des collaborateurs et 45 % des collaborateurs disent avoir des problèmes avec leur hiérarchie. Or, la relation étroite entre le niveau de satisfaction d’un collaborateur et son degré de fidélité au cabinet n’est plus à démontrer. Les managing partners ne doivent pas oublier que le départ d’un collaborateur reconnu par ses pairs et par les clients est une perte de richesse pour la structure. Le convaincre de rester peut même s’avérer moins coûteux que de recruter un remplaçant. Des efforts de management sont encore indispensables. «Imposer des formations de management risquerait d’être contreproductif. Il faudrait plutôt démontrer aux cabinets en quoi le changement de mode de management peut leur être profitable sur le long terme sous l’angle de la performance collective. Cela passe avant tout par de la pédagogie et ce sera à nous de leur proposer un panel d’outils », explique Caroline Luche-Rocchia. La création de la commission éthique et responsabilité sociale de l’avocat par le barreau de Paris semble aller dans ce sens et le CNB pourrait suivre, prochainement, ce mouvement.
Si les cabinets veulent continuer à occuper un positionnement incontournable sur le marché du droit, ils doivent susciter la motivation de leurs collaborateurs, par exemple en leur fixant des objectifs accessibles et mesurables grâce à une grille de critères et à une échelle de notation et de pondération, et en discutant sans tabou de leurs congés d’été voire de fin d’année.
Que cache la réalité du statut du collaborateur - Gazette du Palais - Février 2016- Delphine Iweins (2).pdf (458.25 Ko)