« J'ai toujours remarqué que les vieux disent "tu es jeune, tu as toute la vie devant toi", avec un bon sourire, comme si cela leur faisait plaisir.
Je me suis levé. Bon je savais que j'ai toute ma vie devant moi mais je n'allais pas me rendre malade pour ça." (1)
En prêtant serment (à un jeune âge généralement, quoique l’âge moyen de la « première affiliation » est de 30 ans (2) ), on a sa vie d’avocat devant soi.
Elle commence dans la presque totalité des cas dans la peau d’un collaborateur et on ne s’en rend pas malade (d’ailleurs quand on est avocat, c’est formidable, on n’est jamais malade et on n’est jamais en vacances -pour les clients- on est en déplacement extérieur).
Sur 65.480 avocats (dont 55,4% de femmes, contre 49,4% dix ans auparavant) en France au 1er janvier 2017, soit une augmentation de 37% en 10 ans, 34,5% exerce la profession en qualité de collaborateurs (pour 36% d’individuels, 34,5% d’associés et 5 % de salariés) (3).
Au barreau de Paris, les collaborateurs sont largement majoritaires et représentent 40% de la profession. (4)
J’appartiens à ces 40% (transitoirement) et je ne m’en plains pas.
Il n’est pas toujours évident d’expliquer à son entourage ce mode d’exercice : - Je suis avocat. - T’as ton cabinet ? - Non, je suis… - Associé ? Salarié ? - Euh, non… collaborateur - Ah…c’est quoi ? C’est bien, ça ?!».
Oui, la collaboration, sur le papier, c’est même assez beau, puisque selon Wikipédia, c’est l'acte de travailler ou de réfléchir ensemble pour atteindre un objectif.
Et aussi enthousiasmant, au sens du droit de la propriété intellectuelle (L. 113-2 du CPI) ; « Est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. »
Pourtant, c’est rarement dans de telles conditions que se matérialise cette acception du terme…
Je suis toujours un peu étonné d’entendre dire « mon patron » (avec quelquefois une pointe d’animosité de mon interlocuteur, qui a été informé le vendredi soir qu’il allait devoir plaider un dossier –très simple bien évidemment- un lundi matin à Arras) pour parler de la consœur, du confrère chez qui un collab’ bosse…
Il est vrai que « mon confrère qui me rétrocède des honoraires –sur l’ensemble des honoraires payés par ses clients au cabinet- sur une base fixe mensuelle de XXXX€, hors taxes» est un frein notable à toute communication.
Légalement et administrativement, je suis indépendant, libéral, je paie mes « charges » sociales (en langage patronal) / mes « cotisations » (en langage salarial) obligatoires, nécessaires au modèle unique de notre régime de protection sociale, à la fois porté aux nues et voué aux gémonies, et j’avoue ne pas forcément tout comprendre.
Je sais, grâce à un système d’une simplicité enfantine (mais je ne m’en rends même plus compte car la vie administrative est aujourd’hui dématérialisée), que j’ai la chance d’émettre des factures TTC, étrangement aussi appelées notes d’honoraires et de régler des sommes variées à des organismes divers ; en bref (sans être exhaustif, ce serait trop poétique):
• La CNBF (attention, à ne pas confondre – je l’entends souvent- avec le Conseil National des Barreaux (5), pour les cotisations retraite et prévoyance, contribution équivalente aux droits de plaidoirie, selon des taux et calculs que j’ai renoncés à saisir mais qui ont augmenté très fortement depuis trois ans) ; • L’URSSAF (allocations familiales, taux de 5,25% ; formation professionnelle, taux de 0.25%, CSG/CRDS, taux de 7,5% / 0,5%, avec une augmentation de 1.7 point de la CSG au 1er janvier 2018 (6) , soit plus de 20% ; évidemment les bases de calcul sont sur des montants différents, ce qui éclaire de mille feux la lisibilité des échéanciers de cotisations) ; • Le RSI (enfin la RAM, enfin à partir du 1er janvier 2018 l’URSSAF (7), ce sera plus simple, à en croire Nostradamus) ; • L’ordre des avocats de Paris (cotisation annuelle ordinale ; Responsabilité civile professionnelle, prévoyance) ; • Le CNB (cotisation annuelle) ; • Le Trésor public (la CFE notamment, que j’aime citer car totalement incompréhensible, sachant que je ne loue pas de bureau)…
Pôle Emploi ne figure pas dans la liste car, ô joie, point de cotisations chômage (en même temps, aucune indemnité de chômage n’existe alors c’est bien normal, quoique les allocations familiales et la CSG / CRDS, qui sont les impôts les plus impactant sur mes revenus, ne font pas naître d’indemnités…).
Un tel imbroglio est parfois décourageant mais je suis rassuré car nous sommes des milliers dans le même cas.
A l’avenir, le statut du collaborateur pourrait être fortement transformé par l’extension de l’indemnisation chômage aux travailleurs indépendants (et aux démissionnaires).
Promesse de campagne du Président de la République, un tel élargissement entraînerait des changements de grande ampleur sur ce mode d’exercice.
C’est un sujet duquel il faut nous saisir, pour que l’avocat ne soit pas le parent pauvre de l’éventuelle réforme à intervenir.
En pratique, le statut du collaborateur navigue souvent entre un salariat déguisé et une indépendance indispensable.
C’est à nous, avocats, de demeurer vigilants pour que cette indépendance, qui constitue le socle de ce statut, demeure, tout en étant assortie de garanties.
Au centre des problématiques qui peuvent naître de ce mode d’exercice, l’UJA a toujours été particulièrement attentive à la manière et aux conditions dans lesquelles se termine un contrat de collaboration.
Depuis sa réalité réglementaire en 1972, ce statut a pu évoluer, grâce à l’UJA, dans une plus grande dignité, notamment par la création du tarif UJA, de SOS collaborateurs, l’obtention de l’allongement du congé maternité à 16 semaines, la reconnaissance du congé paternité, la limitation de la durée de la période d’essai à 3 mois, l’instauration d’une période de protection de deux mois au retour de congé maternité et paternité…
Et pour l’avenir, d’autres travaux seront mises en œuvre pour affirmer et améliorer la collaboration (aide à l’installation, suivi de carrière, égalité professionnelle, RCP fondée exclusivement sur les revenus fournis par la clientèle personnelle, charte de bonne conduite, formation, développement de l’activité professionnelle et de la clientèle etc.).
Tel est le sens des initiatives, avancées et perspectives qui devront être menées au sein de nos institutions, Conseil National des Barreaux et Conseil de l’Ordre, lors de la prochaine mandature de 2017 à 2020 (et au-delà).
Notes: (1) Ajar, Emile (Romain Gary). La vie devant soi. 1975 (2) Observatoire de la profession d’avocat du CNB. Les principaux chiffres clés de la profession d’avocat (2016). https://www.cnb.avocat.fr/fr/les-chiffres-cles-de-la-profession-davocat (3) id. 2 (4) Ministère de la Justice. Statistiques sur la profession d'avocat (2017) http://www.justice.gouv.fr/justice-civile-11861/statistiques-11870/statistiques-2017-sur-la-profession-davocat-30799.html (5) A titre d’information, organisme qui représente l’ensemble des avocats de France depuis 25 ans et dont les élections de ses membres a lieu tous les 3 ans, et le 21 novembre cette année. (6) Article 7 du PLFSS 2018 (7) Article 11 du PLFSS 2018