Le Barreau a perdu un de ses membres les plus célèbres
Depuis un moment je cherche mes mots.
Je cherche mes mots afin de rendre un dernier hommage à notre confrère Jean-François Le Forsonney qui nous a quittés le 21 décembre dernier.
Sa vie avait commencé sur les terres marocaines, à Rabat, le 5 Juillet 1949.
Après avoir réalisé ses études de droit à la faculté d’Aix en Provence, il prête serment à la Cour d’Appel de cette même ville le 11 Décembre 1972 et s’inscrit au barreau de Marseille, qu’il ne quittera jamais malgré son installation secondaire à Paris au début des années 90.
Sa vie de jeune avocat va être rapidement bousculée lorsque poussé par son maître de stage, Paul Lombard, il accepte en 1974 alors qu’il n’a que 25 ans, de prendre la défense de Christian Ranucci, accusé d’avoir tué la petite Marie-Dolorès Rambla, 7 ans.
Il ne le sait pas encore mais ses premières assises le propulseront sur le devant de la scène pénale, puisque son client sera malheureusement exécuté sous ses yeux au cours de l’été 1976, après un procès laissant plus que des doutes sur la réelle culpabilité de Ranucci.
Très fortement marqué par cette expérience inoubliable, il promet alors de tout faire pour lutter contre la peine de mort, l’injustice et l’erreur judiciaire.
Il ne faillit jamais à sa promesse.
C’est l’année où Ranucci perdit la vie que la mienne commença. Je n’ai commencé à entendre parler de cette affaire que bien des années plus tard et pour cause puisque plus le temps passait et plus l’affaire dite « du pull-over rouge » semblait être une véritable erreur judiciaire.
Ma rencontre avec Jean-François Le Forsonney eu lieu quant à elle il y a près de 10 ans.
Je n’étais alors qu’étudiante en droit, à la fois stagiaire d’un cabinet d’avocat et vacataire au palais de justice de Paris, et cette rencontre avec cet avocat de renom, homme discret s’il en était fut pour moi une véritable révélation. Il ne l’a d’ailleurs probablement jamais su mais il a à jamais marqué ma vie.
J’étais émerveillée de le voir ailleurs que derrière le petit écran. Stupéfaite aussi qu’il ne feigne pas de m’ignorer comme beaucoup d’avocats très peu intéressés par leurs futurs confrères. Conquise enfin lorsqu’il prit même de son temps si précieux pour m’entretenir de ce qu’avait été pour lui l’affaire Ranucci.
Il me parla aussi du métier d’avocat en général, puis de la pratique du pénal en particulier, me prodiguant de nombreux conseils que je m’attache encore aujourd’hui à respecter scrupuleusement, tant la passion qu’il avait pour son métier a été contagieuse.
En effet, la stagiaire de l’époque est devenue à son tour avocat et j’ai encore tout à fait à l’esprit mon entrée au barreau.
Jean-François Le Forsonney y a d’ailleurs contribué en me rédigeant cette précieuse attestation vantant les mérites de celui qui prétend au barreau et qui me permit de prêter serment.
Je sais que ce jour là dans la foule, il était présent. Discret comme à son habitude, m’accompagnant avec bienveillance vers mes débuts dans la profession.
Jamais depuis notre rencontre il ne m’a fait faux bon, toujours là pour répondre à mes interrogations, me conseiller dans mes choix et m’orienter dans mes périodes de doutes.
Si Jean-François Le Forsonney a défendu les plus grandes causes, il n’en restait pas moins accessible, humain et toujours passionné, voilà pourquoi je lui vouais un profond attachement doublé d’un très grand respect.
Mais aujourd’hui je suis triste.
Triste de l’avoir vu nous quitter trop tôt. Triste aussi en tant que confrère de voir que notre profession perd un de ses plus grands représentants. Triste enfin car malgré sa personnalité, cette carrière magnifique et cette notoriété, j’ai la désagréable impression que son décès n’a pas reçu l’écho qu’il aurait dû.
Trop peu de médias ont diffusé la nouvelle et encore moins ont choisi de lui rendre hommage. Pourtant je pense que les gens auraient souhaité savoir que nous venions de perdre un être exceptionnel, homme simple et honnête qui aura dédié sa vie à son métier et plus particulièrement, comme il l’avait promis à Ranucci lors de son exécution, à la lutte contre la peine de mort et l’erreur judicaire, qui auront tant marquées sa vie.
Pour ma part, je suis en deuil, j’ai perdu mon repère dans cette profession si difficile et je ferai mon possible pour que là où il se trouve il puisse voir que je n’ai pas oublié tout ce qu’il m’a appris, peut-être même sans le savoir.
Pour terminer, Cher Jean-François, je m’adresserai directement à vous comme l’a fait le 7 janvier dernier lors de votre enterrement, notre Confrère Paul Lombard.
Il nous a rappelé qu’après avoir longtemps plaidé à vos côtés pardevant le Tribunal des Hommes, il ne se trouverait pas là pour votre dernière plaidoirie qui aura lieu cette fois devant le Tribunal de Dieu.
Pourtant il a ajouté que comme à votre habitude vous y seriez brillant.
C’était à n’en pas douter, tout comme aujourd’hui il est évident que vous nous manquez à tous.
Jean-François, merci de votre passage dans nos vies, dans ma vie, puissent ces quelques lignes maladroites vous prouvez à quel point je vous appréciais et vous respectais.