UN CADRE JURIDIQUE EN CONTRADICTION AVEC L’ENGAGEMENT DE LA FRANCE
La reconnaissance de la juridiction de la CPI a été consacrée par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, tandis que les modalités d’entraide judiciaire et d’exécution des demandes d’arrestation ont été prévues par la loi du 26 février 2002 relative à la coopération avec la CPI. En outre, la loi du 9 août 2010 a notamment permis d’élargir la définition de certains crimes conformément aux critères du Statut de Rome, et celle du 13 décembre 2011 a doté le Tribunal de grande instance de Paris d’un pôle spécialisé en matière de crimes contre l’humanité.
Toutefois, les hypothèses d’engagement de la compétence des juridictions françaises sont excessivement restreintes, l’article 689-11 du code de procédure pénale imposant la réunion dequatre conditions : réciprocité d’incrimination avec la législation du pays où les faits ont été commis ; monopole des poursuites confié au ministère public ; résidence habituelle du suspect sur le territoire français ; déclin préalable par la CPI de toute compétence.
Ce cadre juridique vide indéniablement l’engagement international de la France de toute substance. D’une part, le principe de complémentarité - l’ADN de la CPI - est inversé puisque la France n’exerce sa compétence qu’à titre subsidiaire. D’autre part, toute mise en mouvement de l’action publique par la victime est exclue - tandis qu’elle est de droit pour les crimes de droit commun (!) - ce qui « politise » indéniablement l’engagement des poursuites…
L’EXAMEN AU SÉNAT D’UNE PROPOSITION DE LOI INITIALEMENT PROMETTEUSE
Pendant la campagne présidentielle, le futur Président de la République a déclaré que le dispositif existant « ne permet pas aux victimes des crimes internationaux les plus graves d’obtenir justice dans notre pays » et affirmé vouloir « revenir sur ces restrictions ».
C’est dans ce contexte que le sénateur Jean-Pierre Sueur (SOC), Président de la commission des lois, a déposé une proposition de loi modifiant l’article 689-11 du code de procédure pénale.
Si le texte initial supprimait en bloc les quatre conditions cumulatives, alignant ainsi le droit français avec les standards exigés par le Statut de Rome, la commission des lois a toutefois décidé d’adopterun amendement contraire à l’esprit du texte.
En effet, si cet amendement étend la compétence française à l’ensemble des auteurs de crimes contre l’humanité (en incluant ceux qui ne relèvent pas de la compétence de la Haye), il réintègre le filtre du parquet, au motif qu’il prémunirait les juridictions françaises de toute tentative d’instrumentalisation.
Pour justifier ce choix, le rapport du Sénat mentionne notamment le retour en arrière opéré par la Belgique et par l’Espagne, lesquelles avaient consacré la compétence universelle sans conditions de leurs juridictions, c’est-à-dire sans aucun filtre et en l’absence de suspect sur le territoire national…ce qui n’est absolument pas le cas du texte initial.
En tout état de cause, le juge d’instruction français saisi d’une plainte avec constitution de partie civile, aura le pouvoir de refuser ab initio d’informer, comme pour les crimes de droit commun, en particulier si les faits dénoncés sont insusceptibles de revêtir une qualification pénale.
Cet amendement, qui menace la portée des modifications à venir, est d’autant plus significatif qu’il émane du rapporteur du texte, le sénateur Alain Anziani.
Espérons que les débats en séance publique permettront au Sénat d’adopter un nouvel amendement rétablissant le texte initial.
Au-delà, espérons que le texte, une fois voté, sera rapidement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale : il faudra alors convaincre les députés d’adopter enfin un dispositif législatif conforme à l’engagement international de la France.
Clémence WITT
Coresponsable de la Commission "Pénal et droits fondamentaux" de l'UJA
penal@uja.fr