1°) BREF RAPPEL DE LA SITUATION ACTUELLE
Le bail professionnel est actuellement régi par l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 (issue de sa modification de la loi du 6 juillet 1989) prévoyant :
- une durée minimum de 6 ans,
- la faculté pour le locataire de donner congé à tout moment,
- au terme du bail, la possibilité pour le bailleur de donner congé sans motif.
Cette législation ne satisfait ni les bailleurs, ni les locataires, et plusieurs propositions de loi ont vu le jour.
Les bailleurs critiquent la possibilité, pour le professionnel, de donner congé à tout moment, ce qui précarise la stabilité du lien contractuel, et se détournent, souvent, d’une telle catégorie de locataires.
De leur côté, les avocats, et notamment l’UJA de PARIS ont, depuis 1989, combattu avec force cette législation, en réclamant aux lieu et place de ce « mini statut », un véritable statut, notamment le droit au renouvellement du bail professionnel, l’encadrement du loyer, et la possibilité de cession du droit au bail.
Au terme du bail, le bailleur peut donner congé sans motif et sans indemnité, ou imposer une augmentation insupportable du loyer.
Dans ce dernier cas, voilà détruit, après six ans, tous les efforts du professionnel libéral : investissements lourds non amortis, absence de fidélisation de la clientèle, anéantissement de la localisation comme élément de valorisation de « l’entreprise libérale », perte de la notion de service de proximité, conséquences préjudiciables pour l’emploi.
Enfin, il semble important de rappeler qu’il existe, à Paris, dans les communes de la petite couronne, et dans les grandes villes, un lien entre le statut du bail professionnel et la législation extrêmement sévère de la police d’affectation des locaux (article L 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation).
L’UJA de PARIS lutte également depuis de nombreuses années, pour tenter d’obtenir un assouplissement de cette réglementation.
Rappelons-nous la manifestation organisée par l’UJA, boulevard Morland, en robes, dans une roulotte de chantier, où le mot d’ordre était « Nous consultons dans la rue car nous voulons des locaux ».
Le Gouvernement prépare actuellement une réforme de l’article L 631-7, mais il y a fort à craindre que celle-ci soit grandement insuffisante.
2°) LES RÉFORMES ENVISAGÉES ET LES PROPOSITIONS.
2-1. Les propositions du rapport Pelletier
Le rapport Pelletier propose d’autoriser les parties à un bail professionnel à déroger au régime de l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, en le soumettant conventionnellement à l’ensemble du statut des baux commerciaux.
Il permet une option entre les deux régimes, à savoir celui de l’article
57 A et celui des baux commerciaux, option extrêmement complexe à mettre en œuvre à ce jour, compte tenu de la jurisprudence.
Cette option peut sembler séduisante.
Cependant, il convient de protéger la partie économiquement faible, notamment les jeunes avocats.
Par ailleurs, il existe une contradiction dans le Rapport. Les baux professionnels pourront-il être soumis contractuellement à l’ensemble du statut ou à une partie seulement ?
2-2. Soumission conventionnelle à l’ensemble du statut des baux commerciaux
S’il est possible d’accepter la soumission conventionnelle à l’ensemble du statut des baux commerciaux, il convient cependant d’aller au bout de la logique et de modifier également l’article L 145-2 du Code de Commerce, relatif au champ d’application des baux commerciaux.
En effet, en vertu de la jurisprudence actuelle, la soumission conventionnelle d’un bail professionnel au statut des baux commerciaux, n’emporte pas droit à renouvellement et indemnité d’éviction, faute pour l’Avocat d’exploiter un fonds de commerce et d’être inscrit au Registre du Commerce.
La Cour de Cassation exige une clause claire et précise dans le bail, prévoyant expressément qu’en dépit de l’absence de fonds de commerce et d’inscription au Registre du Commerce, le professionnel a droit au renouvellement.
La simple référence au statut des baux commerciaux, à la durée de 3, 6, 9 années, à la révision triennale, ne suffit pas.
Dans ce contexte, il convient d’assurer la sécurité juridique des parties.
2-3. Propositions de modifications législatives
Il convient d’aller au-delà des modifications proposées par le Rapport PELLETIER.
a) Modification de l’article L 145-1 du Code de Commerce
Le Rapport envisage que les baux non soumis au statut des baux commerciaux, puissent être conventionnellement soumis partiellement à ce statut (c'est-à-dire en écartant au choix certaines des dispositions d’ordre public dudit statut).
Par ailleurs, pour les baux professionnels, il est proposé une soumission globale à l’ensemble du statut des baux commerciaux.
Or, ces deux propositions semblent être contradictoires, et laisser accroire qu’un bail professionnel pourrait être soumis partiellement au statut des baux commerciaux.
Aussi, afin d’éviter toute ambiguïté, il est suggéré une modification différente de l’article L 145-1 du Code de Commerce.
La modification du rapport PELLETIER est la suivante :
« Article L 145-1 modifié :
« en outre, les dispositions du présent chapitre « s’appliquent…
« III – La soumission conventionnelle d’un bail au présent « chapitre peut porter sur tout ou partie de ces dispositions »
Il est proposé de rajouter :
« III – La soumission conventionnelle d’un bail au présent « chapitre peut porter sur tout ou partie de ces dispositions, à « l’exception des baux professionnels, qui ne peuvent être « soumis conventionnellement qu’à l’ensemble du présent « statut ».
(cf. dans le même sens F. AUQUE « Les propositions de réforme des baux commerciaux ». JCP ed. G 2004 Actualité n°37)
b) Modification de l’article L 145-2 du Code de Commerce.
Il est proposé la modification suivante :
Article L 145-2 modifié :
« I – Les dispositions du présent chapitre s’appliquent « également :
…
« 7°) aux baux professionnels, si les parties ont « conventionnellement adopté ce régime ».
Cette modification permettrait ainsi, aux Avocats, à l’instar des artistes graphistes (6° du même article), de bénéficier du droit au renouvellement, sans exploiter de fonds de commerce, et sans être inscrit au Registre du Commerce, ou à défaut de percevoir une indemnité d’éviction, calculée comme pour des bureaux.
Il est en effet logique que les professionnels, titulaires d’un bail commercial et acquittant un prix de loyer plus élevé, en aient la contrepartie, c'est-à-dire le droit au renouvellement.
c) Cession du droit au bail professionnel
Il convient de prévoir une modification législative permettant la cession du droit au bail professionnel, et ce en conformité avec la jurisprudence de la Cour de Cassation, qui a consacré la notion de fonds libéral. (C. Cass. 7 nov. 2000).
* * *
Si une telle réforme était adoptée, il conviendrait d’intégrer l’ensemble des modifications évoquées ci-dessus, afin d’assurer un statut cohérent aux baux professionnels, qui conventionnellement pourraient ainsi relever de deux régimes au choix :
- ou celui de l’article 57 A de la loi de 1986,
- ou celui de l’ensemble du statut des baux commerciaux, incluant le droit au renouvellement et à indemnité d’éviction, et la possibilité de céder le droit au bail.
Michèle ASSOULINE (Juriteam)
Avocat au Barreau de Paris
Membre du Conseil National des Barreaux
Ancien Vice Président UJA de PARIS et FNUJA