Par UJA de Paris, 16 November 2017

Prononcé lors de la Commission Permanente de passation de pouvoir le 23 juin 2014


Discours de Valence Borgia, nouvelle Présidente de l'Union des Jeunes Avocats de Paris
Chers Amis, C’est avec beaucoup d’émotion que je me présente devant vous aujourd’hui, et avec l’envie de vous dire tant de choses. (...) Je vais tenter de  vous dire l’essentiel. Comment en suis-je arrivée là ? Il y a trois ans, Pierre Hoffman, toujours lui, et moi, franchissions les portes de cette Commission Permanente. Cette année-là, nous étions les deux seuls « nouveaux ». Je dois dire, et je m’adresse là à celles et ceux qui viennent de nous rejoindre, que les débuts à la « CP » ont été parfois, comment dire, déconcertants. J’ai le souvenir de débats très techniques, parfois obscurs, et d’échanges tellement vigoureux, que je me demandais bien souvent où j’étais tombée. Très rapidement, j’ai rejoint la commission collaboration et j’ai participé à la défense des collaboratrices et collaborateurs dans les litiges les opposant à leurs cabinets. C’est à dessein que je mentionne au premier chef la défense des collaborateurs. Peut-être parce que je suis moi-même collaboratrice, mais surtout parce que j’ai la conviction que cette défense fait partie de notre essence, qu’elle nous distingue et qu’elle nous définit. Ensuite parce que c’est l’occasion pour moi de dire toute l’estime, toute l’amitié et toute l’admiration que je porte à Léonore Bocquillon qui, depuis des années, passe un temps considérable à défendre bénévolement des dizaines de collaborateurs et à en conseiller des centaines.  Léonore, merci du fond du cœur, au nom de l’UJA, pour ce travail titanesque que tu accomplis chaque jour. Merci aussi à toute l’équipe de sos collaborateurs, que je vous invite vivement à rallier si vous avez l’envie. J’en profite pour saluer également l’admirable travail et le savoir-faire de la Commission Carrière, Installation et Association merveilleusement emmenée par Catheline et son équipe qui sans relâche, a organisé tout au long de l’année des permanences au cours desquelles nos confrères ont pu être conseillés sur leur projet de développement de carrière. Pour en revenir à mes premiers pas à l’UJA, nous avons, au mois d’octobre 2011, toujours sous la présidence d’Alexandra, lancé l’idée de prendre le pouls des collaborateurs, leurs conditions d’exercice, leurs aspirations, leurs craintes… Et nous avons élaboré un grand sondage. Quelques semaines plus tard, nous avions reçu plus de 1200 réponses. C’était la première fois qu’une consultation à si grande échelle était conduite sur la collaboration. Nous avons dépouillé ces 1200 réponses et avons constaté l’ampleur des attentes, les doléances innombrables ; dans le même temps, les collaborateurs nous disaient leur amour de la profession, ce qui nous a rempli d’optimisme. Je me souviens avoir ressenti très fortement que nous avions là une occasion de porter les messages d’une majorité silencieuse et que cela avait du sens. Nous avons donc fait des propositions dans trois domaines, l’installation et l’association, sous la houlette de Leila, la collaboration avec Léonore, et l’égalité professionnelle. Certaines de ces propositions doivent encore être portées, et nous le ferons cette année. Un mot sur l’égalité, puisque celles et ceux qui me connaissent un peu, savent que c’est un sujet, qui ne m’est pas indifférent. Les écarts immenses entre les hommes et les femmes, en termes de développement de carrière et de revenus dans notre profession me sont insupportables, je ne m’y résigne pas et je suis intimement convaincue que nous pouvons y remédier. Et nous l’avons montré. Au demeurant, ce refus des inégalités, de toutes les inégalités, s’inscrit dans notre adn car, vous le savez, l’UJA s’est construite contre l’inertie réactionnaire du palais traditionnel. Ainsi, Au début des années vingt, de jeunes confrères avaient regagné le Palais après l’horreur des tranchées et l’enfer des gueules cassées. Ils avaient retrouvé leurs aînés qui n’avaient pas été mobilisés, et dont l’exercice avait si peu été troublé par la Grande Guerre. Ils redécouvraient une profession alors conduite de manière archaïque et qui leur fermait les bras. Voici deux mondes qui se confrontaient, Anciens et modernes, D’un côté, ceux pour qui le changement signifiait la fin des privilèges, De l’autre, ceux pour qui il représentait l’espoir d’une profession meilleure. Henri Delmont, président en 1947, résume bien l’état d’esprit qui les animait alors : « les jeunes avaient le désir d’une profession bien vivante, permettant à chacun, dans le respect de nos règles essentielles, de gagner sa vie par son travail et sa compétence. Ils avaient compris que l’immobilisme était destructeur alors que le mouvement consoliderait les traditions fondamentales ». Alors oui, l’UJA est née autour de cet idéal d’égalité des chances entre confrères, pas d’un égalitarisme aliénant, nivelant par le bas, mais au contraire, autour de la conviction que chacun et chacune doit pouvoir réussir au barreau « par son travail et sa compétence », indépendamment de sa lignée, de son genre, de son extraction sociale, ou de son origine. C’est cette promesse éminemment républicaine, que les jeunes avocats d’alors espéraient voir tenue. Et les actions que nous avons menées ces dernières années sous les présidences de mes prédécesseurs démontrent, s’il en était besoin, que nous portons toujours et sans cesse cette volonté de renouveau. Évidemment, vous pouvez compter sur moi pour poursuivre cette route. Alexandra, Massimo, Leila, et surtout tous nos élus, et anciens élus : merci de m’avoir donné à connaître le bonheur et le goût de voir traduits nos idées, nos débats, nos combats… en mesures effectives qui transforment le quotidien des avocats. Je nous souhaite de continuer à réaliser. Cela sera le sens de ma présidence, celui de vous permettre à toutes et tous de réaliser vos projets pour les jeunes avocats. Il nous faudra aussi être long-termistes, prendre un cap et nous positionner sur un certain nombre de sujets, j’y reviendrai. Grâce aux actions menées ces dernières années, nous touchons aujourd’hui les jeunes installés. Je voudrais aussi que nous réinvestissions les cabinets d’affaires. *** Je sais qu’il est de tradition de dire quelques mots personnels sur soi, son parcours, ses origines et c’est un exercice qui m’est difficile. Que vous dire ? Je suis issue d’une famille plutôt hétéroclite mais très typique (…) Voici comment j’en suis arrivée là. *** Aujourd’hui, Je pense à ma famille qui m’a transmis je crois une forme d’indépendance d’esprit et un grand sens de la fratrie. Je pense à mon compagnon de toujours, Benjamin, et à tout ce qui nous unit. Je pense beaucoup à nos enfants parce que je crois que la vie de famille rend parfois l’engagement difficile et impose certaines contorsions. Mais je pense à eux surtout parce que je suis convaincue qu’au contraire, c’est parce que j’ai des enfants, qu’il est fondamental que je m’engage. Au-delà de nos situations familiales individuelles, je crois que ce que nous faisons ici ou ailleurs pour le collectif participe de notre responsabilité à l’égard de celles et ceux qui nous succèderont. Et que nous ne faisons que restituer ce que nous avons reçu et que nous recevons par ailleurs. Et c’est dans cet état d’esprit que j’appréhende l’année à venir avec ses échéances nombreuses: je sais qu’ensemble nous pourrons déplacer des montagnes. Pour cela, je crois que nous devrons faire preuve d’audace et d’iconoclasme tout en demeurant libres et indépendants. Nous ne sommes pas là pour plaire à l’ordre ou à d’autres institutions, et la revue, avec son lot d’impertinence l’a encore confirmé avec brio cette année. Notre seul devoir, c’est d’incarner et de porter la voix des jeunes avocats. Et nous la porterons haut et fort pendant la prochaine campagne en vue des élections au Conseil National des Barreaux. Parce que l’un de nos Invités Permanents a décidé de présenter des listes afin de rassembler des confrères autour d’une idée de prime abord séduisante, celle d’un « Ordre National ». Cet ordre national serait l’exacte manifestation de l’immobilisme réactionnaire dont je vous parlais tout à l’heure et contre lequel s’est construite notre UJA. Il s’agirait de remplacer le CNB actuel qui vient de décider que l’ensemble de ses membres devraient être élus au suffrage universel, par un ordre national dans lequel siègeraient de droit une trentaine de bâtonniers de cour. Tous les bâtonniers de cour réunis en une même assemblée…on dirait une lithographie de Daumier. Avec l’association pour un ordre national, les sophismes ne connaissent pas la crise. On nous dit, « les notaires sont entendus par les pouvoirs publics donc pour être entendus nous aussi, adoptons une représentation comparable à la leur ». Mais nous comparer aux notaires c’est manquer cruellement d’ambition pour notre profession. Nous comparer à des notables, assis sur une rente de situation et un monopole de fait qui résistent aux injonctions européennes d’ouverture à la concurrence, c’est avoir une drôle de conception de ce qui fait notre singularité. Si les notaires sont entendus, ce n’est pas pour des raisons institutionnelles. C’est parce qu’ils sont soumis aux pouvoirs publics, et qu’ils font par ailleurs office de percepteurs du trésor. Pas d’indépendance et d’humanité dans le serment des notaires. Alors évidement, pour les pouvoirs publics, c’est moins effrayant un notaire qu’un avocat qui refuse inflexiblement toute compromission à ses principes essentiels. Parce que notre indépendance et notre humanité, elles nous imposent, à chaque fois que cela est nécessaire d’entrer en désobéissance. Et vous êtes entré en désobéissance, Monsieur le Bâtonnier, lorsque vous vous êtes élevé contre les récentes violations du secret professionnel. Nous entrons en désobéissance à chaque fois que les droits de la défense sont bafoués, que ce soit en raison du défaut d’accès au dossier en garde à vue, ou de l’indigence de l’aide juridictionnelle. Toutes les avancées récentes en faveur des collaborateurs que nous avons obtenues de haute lutte n’auraient jamais vu le jour si elles avaient été soumises – à considérer d’ailleurs qu’on ait pu les lui soumettre - à l’ordre national qu’on nous propose aujourd’hui. Cet ordre national là, c’est du « sur place » pour trente ans et nous, les jeunes avocats, nous ne l’accepterons pas. Cet ordre national là, c’est un gadget marketing au service d’egos boursoufflés. Une représentation forte ca ne se décrète pas. Pour être forts, il faut être écouté et entendu. Et pour cela, il faut gagner sans cesse la bataille des idées, Porter une voix qui touche au cœur. Parce que nous portons cette voix-là, nous sommes une chance pour la profession d'être entendue. (…) *** Monsieur le Bâtonnier, Pierre-Olivier, je veux vous remercier d’être venu nous écouter ce soir. Nous y sommes sensibles et nous y voyons la démonstration de l’oreille attentive de l’Ordre de Paris à la voix des jeunes avocats. Vous m’avez dit que votre porte nous serait toujours ouverte si nous en avions besoin, et je ne l’oublierai pas. Nous viendrons, dès que possible, vous demander par exemple de mettre un coup d’arrêt à certaines mauvaises pratiques que nous avons identifiées dans le cadre de sos collaborateurs et qui sont indignes de notre profession. Nous viendrons vous demander également de soutenir les jeunes avocats dans leurs projets d’installation. Monsieur le Bâtonnier, nous essaierons toujours de travailler avec vous dans un état d’esprit constructif et confraternel. Et je sais que vous accèderez à beaucoup de nos demandes… tout simplement parce qu’elles correspondent à vos engagements, vous qui avez mis la jeunesse au centre de votre campagne, vous qui êtes… l’un de nos invités permanents. Nous le savons vous et moi, nous serons parfois en désaccord mais c’est là l’histoire éternelle des présidents de l’UJA et de leurs bâtonniers. Vous nous aviez dit ici même que vous souhaitiez limiter le nombre de renouvellement des mandats au poste de membre du conseil des bâtonniers et vices-bâtonniers sortants. Je veux vous dire que vous avez sur ce point le soutien total et entier de l’UJA de Paris et je veux saluer cette idée moderne. Elle doit, à notre sens, s’accompagner de l’interdiction de renouvellement des mandats des membres du conseil sortants. Elle est cruciale pour la respiration de nos institutions, et pour nous permettre de sortir enfin d’un conservatisme parfois sclérosant. (…) **** Pour l’année à venir, je ne vous proposerai pas un programme mais un chemin prospectif. Notre Barreau a changé de physionomie. Il n’est plus depuis longtemps un microcosme resserré autour du palais, mais un ensemble hétérogène et diffus de plus de 25.000 confrères, exerçant dans des conditions très différentes les unes des autres.  Beaucoup d’entre eux éprouvent de l’indifférence, lorsque ce n’est pas de la défiance, à l’égard de ceux qui s’investissent pour la profession. Ce n’est pas un phénomène propre aux avocats. Partout en France, on tourne le dos au politique et aux syndicats. Entre l’establishment et ce nouveau barreau parfois séduit par les élans populistes et faussement contestataires de certains, je crois qu’il existe une alternative et que nous n’avons pas de choix à  opérer entre notre militantisme et une approche prospective de la profession. Il y a aussi évidement le Jeune Barreau, qui constitue aujourd’hui plus de la moitié de l’effectif. Il nous faut plus que jamais tenir compte de ses envies de changement. Je n’aime pas l’expression « génération Y », que j’associe une forme de condescendance. Mais je vois dans ce jeune Barreau des individus qui n’agissent pas par tradition ou par usage mais par conviction. J’y vois un signe positif car, comme l’ont martelé nos candidats pendant la dernière campagne, ce barreau là a une envie profonde de bousculer les modèles. Il refuse la cooptation, la connivence, l’entre-soi et déplore que certains soient des professionnels de la profession dont l’objectif insatiable semble être toujours de se faire élire à de nouvelles fonctions. Non seulement nos modèles institutionnels sont bousculés par la génération entrante, mais les modèles économiques traditionnels de nos cabinets seront également bouleversés par cette nouvelle culture. Cela doit naturellement nous amener à réfléchir aux limites des modèles actuels. Il nous faudra  donner du sens, avec une vision du futur inspirante et durable qui soit l’incarnation du progrès. J’ai prêté serment fin 2007, c’est-à-dire que je n’ai connu que la « crise » depuis que j’exerce. Et face à la crise, il y a toujours eu historiquement deux voies possibles : - le repli et la peur qui mènent inévitablement à des catastrophes ; - ou l’espérance et l’union autour d’un projet porteur. C’est vous l’aurez compris cette seconde voie que je vous propose d’emprunter en réfléchissant tous ensemble à l’exercice de demain tel que nous le concevons. Nous ne devons surtout pas brader nos légitimes attentes sur l’autel de la crise. C’est dans les temps difficiles qu’il faut plus que jamais s’arc-bouter sur nos valeurs essentielles. Je sais la violence symbolique et économique très forte qui s’exerce sur celles et ceux qui ne trouvent pas de collaboration parce que les temps sont durs. Et nous en parlerons cette année. J’imagine leur désenchantement et nous serons à leurs côtés. Notre responsabilité, c’est de conjurer la peur latente dans notre profession et d’être suffisamment conquérants et imaginatifs pour permettre à tous nos confrères de travailler dans des conditions dignes. Il nous faudra réfléchir davantage aux nouveaux modes d’exercice, -          aux statuts des avocats dans les cabinets : Doit-on conserver la dichotomie « associés-collaborateurs » ou envisager de nouveaux statuts ? -          à nos rapports aux locaux professionnels ? Partout, pour des raisons économiques mais aussi de flexibilité, les entreprises redéfinissent leur conception de l’espace de travail. -          À la question de l’accès au droit (non pas l’accès au droit pour les justiciables, mais l’accès au droit matériel pour les avocats) : avec la numérisation, des éditeurs juridiques risquent de se retrouver en situation quasi-monopolistique sur certains contenus. Cela pose la question de l’accès à ces contenus pour les jeunes avocats, lesdits éditeurs pratiquant parfois des tarifs dissuasifs et refusant de fractionner leur offre en fonction des spécialités. Cela pose aussi la question du contenu du droit même. Si seuls quelques éditeurs diffusent l’information juridique, nous risquons un appauvrissement de la doctrine. -          aux opportunités induites par la révolution technologique : Comment peuvent-elles devenir vecteur de nouvelles parts de marché ? Nous devons nous interroger sur le changement de paradigme qui s’opère sous nos yeux. Là où des empires se bâtissaient avant sur des générations, les nouveaux mastodontes du marché éclosent en quelques années seulement. Je pense par exemple à airbnb crée il y a 6 ans seulement et qui pèse aujourd’hui 10 milliards de dollars, ainsi qu’à toutes ses plateformes tentaculaires qui se créent dans le domaine des services. Ces nouveaux modèles économiques sont basés sur l’innovation et un système de prescription et de référencement par le biais des avis des utilisateurs directs. Je ne dis pas que nous devons adopter ce modèle, et je ne sais pas s’il est comme le disent certains une victoire de la démocratie directe ou plutôt la dictature du consumérisme. Mais je sais que nous devrons veiller à ce que cette révolution, si elle doit s’opérer dans notre profession, intervienne aux services des avocats, et ne constitue pas une servitude grevant notre exercice. Nous devrons nous interroger sur ce que nous voulons véritablement, car l’avènement des nouvelles technologies pourrait aussi, selon l’utilisation que nous décidons d’en faire, se révéler prédatrice et toxique. Il ne faudrait pas que nous aliénions nous-mêmes notre chère indépendance. Mais nous devons incontestablement mener cette réflexion pour ne pas subir dans nos cabinets une vague que nous n’aurions pas vu venir et pour ne pas passer à côté d’opportunités de développement. Nous réfléchirons ensemble au cabinet de demain. **** C'est la force de l'UJA, et c'est pour cela qu'elle résonne aussi fort au sein du Barreau: elle sait s'adapter, avant les autres, au monde dans lequel elle évolue. Et elle s'y adapte le cœur ouvert, sans peur du changement et sans jamais se replier sur elle même. Nous savons qu’il faut « forger longtemps à l’avance les concepts audacieux pour espérer un jour les voir mis en œuvre ». Et bien nous forgerons cette année. Je souhaite inscrire mon action, notre action, dans ces mots de Camus que je fais miens ce soir, « C'est finalement au plus fort de l'hiver, que j'ai compris qu'il existait en moi un invincible printemps ».

Discours de Valence Borgia, nouvelle Présidente de l'Union des Jeunes Avocats de Paris

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