L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions, dit-on.
En matière de garde à vue terroriste, c’est précisément un pavé supplémentaire dans la marre du soupçon contre les avocats, que vient de jeter le Gouvernement en adoptant le décret du 14 novembre 2011 « relatif à la désignation des avocats pour intervenir au cours de la garde à vue en matière de terrorisme ».
Un peu d’histoire récente pour resituer le débat.
La loi du 14 avril 2011 qui a réformé la garde à vue, a introduit un nouvel article 706-88-2 au Code de Procédure Pénale qui prévoit désormais :
« Le juge des libertés et de la détention, (…) ou le juge d'instruction lorsque la garde à vue intervient au cours d'une instruction, peut décider que la personne sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau.»
L’objectif de la loi était ainsi de tenir une liste permettant de recenser un nombre d’avocats « habilités », qui sur décision du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention, seraient seuls susceptibles d’être choisis par les gardés à vue pour les défendre.
Le but clairement avoué du rapporteur de ce texte à l’Assemblée Nationale, Monsieur François ZOCHETTO, était d’éviter que le gardé à vue ne conserve le libre choix de son avocat.
Rien de moins.
Pour convaincre ses collègues, Monsieur ZOCHETTO n’a ainsi pas hésité à soutenir les propos suivants : « Le premier risque résidera dans la possibilité que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat défendant la même cause idéologique qu’elle ; le risque de fuite serait alors considérable. Le second risque sera, compte tenu de la personnalité, de la dangerosité et des moyens dont dispose certains auteurs d’actes terroristes, que des pressions soient exercées par la personne gardée à vue sur les avocats désignés pour qu’ils préviennent leurs complices ou fassent disparaître des preuves.C’est pour répondre à ce double risque que l’article adopté par la Commission crée une possibilité de restriction à la liberté pour la personne gardée à vue de choisir son avocat. »
Le projet de loi ayant été adopté, il restait au pouvoir réglementaire à en définir les conditions.
C’est ainsi qu’est entré en scène le décret du 14 novembre 2011, qui s’est appliqué à définir les critères de cette drôle de liste, si ardemment souhaitée.
Pour ce faire, le décret du 14 novembre 2011 a ajouté aux article R. 53-40 du Code de Procédure Pénale diverses dispositions qui, en synthèse, prévoient que seuls les avocats inscrits au tableau depuis plus de 5 années pourront être admis à figurer sur cette liste très prisée, établie par chaque barreau et transmise au CNB pour approbation.
Dès qu’elle a eu connaissance de ce décret, l’UJA de Paris ainsi que la FNUJA ont tenu à contester tant le décret du 14 novembre 2011, que l’article 706-88-2 du CPP qui en est le support.
Le Conseil d’Etat a ainsi été saisi le 13 janvier 2012, de la légalité du décret du 14 novembre 2011 notamment parce qu’il viole de façon évidente l’article 6 § 3 de la CESDHLF, et les libertés d’établissement et de prestation de services protégées par le Traité de l’Union Européenne.
A l’occasion de ce contentieux, une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article 706-88-2 du Code de Procédure Pénale a également été déposée.
Nul doute que ces dispositions législatives et réglementaires seront annulées et abrogées, les Conseils d’Etat et Constitutionnels semblant plus attachés au respect indivisible de la liberté de choix de l’avocat, que notre chère représentation nationale.
Tant que les avocats seront perçus comme le maillon faible de la chaîne pénale, l’UJA de Paris n’aura de cesse de rappeler qu’il n’est de justice éclairée sans liberté pour le justiciable d’être défendu par la personne de son choix.
Florent LOYSEAU de GRANDMAISON
Coresponsable de la Commission "Pénal" de l'UJA de PARIS