A l’heure où le nombre de suicides en prison connaît une augmentation considérable (20% d’augmentation en 2009 soit 81 à 90 suicides de détenus à ce jour contre 115 en 2008, et 96 en 2007 (1)), le Garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie a annoncé, le 18 août 2009, la mise en place d’un plan d’action pour la prévention des suicides en prison en rendant public le rapport de la Commission de travail présidée par le Docteur Louis ALBRAND.
Le rapport préconise 20 mesures parmi lesquelles une meilleure formation des personnels pénitentiaires, une amélioration de la détection du risque du suicide, la construction d’un « environnement sécurisé », l’expérimentation de détenus « accompagnants » et la gestion de « l’après-suicide ».
Dans le prolongement du projet de loi pénitentiaire qui sera soumis à l’examen de l’Assemblée Nationale en septembre, le Gouvernement s’inscrit ainsi dans la continuité de sa politique sécuritaire et envisage les prisons avec une logique purement gestionnaire.
Le rapport préconise en effet la généralisation de« kits de protection » constitués de draps déchirables, de pyjamas en papier à usage unique, et de couvertures indéchirables ne pouvant être transformées en liens, ainsi que la mise en place de « cellules de protection d’urgence ».
Au lieu de déployer des mesures radicales propres à restaurer la dignité du détenu et à limiter son sentiment de déshumanisation, une nouvelle contrainte lui est désormais imposée, celle de ne pas mourir.
Les Pouvoirs Publics persistent dans leur déni du lien inexorable entre conditions de détention et taux de suicide, en ne réglant toujours pas la question de la vétusté des prisons et de la surpopulation carcérale.
Ils restent sourds aux constats dressés depuis de nombreuses années par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), selon laquelle « la possibilité doit être prévue de recourir à des mesures spécifiques de prise en charge des personnes suicidaires, de nature à restaurer l’estime de soi chez les intéressés, allant de l’adaptation des conditions individuelles de détention (relations avec l’extérieur et activités aménagées) à la prise en charge en milieu hospitalier extérieur » (2).
Le rapport ALBRAND préconise également d’améliorer la détection du risque de suicide en systématisant l'utilisation de la grille d'évaluation du potentiel suicidaire lors de l'entretien d'accueil arrivant, et au moment du placement en quartier disciplinaire.
Il faut souligner que de telles mesures ne semblent pas constituer une arme efficace pour prévenir les suicides, l’Observatoire International des Prisons ayant rendu public un document de la direction de l’administration pénitentiaire intitulé Bilan provisoire des suicides en 2008 qui conclut que 71,5 % des détenus qui se sont suicidés durant l'année 2008 avait été repérés comme fragiles ou suicidaires et faisaient l'objet de mesures spécifiques de suivi.
Toutefois, si l’on peut accueillir favorablement la recommandation du rapport ALBRAND de favoriser les activités en détention, l’oisiveté carcérale étant l’une des causes du sentiment d’isolement des détenus, il est à craindre que celle-ci reste lettre morte puisqu’aucune mesure concrète ne l’accompagne. L’offre d’activités des établissements pénitentiaires est en effet très en deçà des demandes de la population pénale.
Enfin, aucune mesure ne vient résoudre le problème de la prise en charge effective des détenus présentant des troubles psychiatriques graves, qui seraient au nombre de 15.000 selon le Docteur ALBRAND, soit 15 % de la population carcérale.
En l'état, la France se maintient donc manifestement au rang des « mauvais élèves de l’Europe », avec quatre fois plus de suicides en prison que l’Espagne ou l’Italie, et la condamnation récente par la Cour Européenne des Droits de l’Homme ayant considéré que les conditions de détention d’un requérant, inscrit au répertoire des Détenus particulièrement signalés (DPS) soumis à des transfèrements répétés, placé en régime d'isolement à long terme et faisant l'objet de fouilles corporelles intégrales régulières «s'analysent, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne» (CEDH 9 juillet 2009 Khider c/ France).
(1) Selon la Chancellerie, 81 détenus se sont suicidés depuis le début de l’année. Selon l’OIP, en réalité plus de 90 détenus se seraient donné la mort en 2009. Cette différence s’explique par la prise en compte par l’OIP du fait que certains de ces décès sont dus à une absorption massive de médicaments, des morts suspectes, qui ne sont pas toujours classées en suicide par l’Administration
(2) Réponse du gouvernement à l’Etude sur les droits de l’homme dans la prison de la CNCDH, 26 janvier 2005