Par Thomas Charat, candidat aux élections des Membres du CNB, Président d’honneur de l’UJA de Paris
L’aide juridictionnelle permet de rétablir l’égalité dans l’accès à la justice, dès lors qu’il s’agit de permettre aux personnes démunies d’être assistées par un avocat afin de faire valoir leurs droits en justice.
Elle est en cela un pilier de notre Etat de droit et est un instrument qui permet de mesurer la bonne santé de l’accès au droit des citoyens-justiciables.
A la question « décris-moi ton système d’aide juridictionnelle, je te dirais comment se porte l’accès au droit », la réponse est cinglante : l’accès au droit présente tous les symptômes d’un « système à bout de souffle »[1].
Si depuis la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle a triplé, les dépenses qui lui sont consacrées presque quadruplé, force est de constater que cette politique d’accès à la justice ne s’est pas traduite dans les faits par la mise en place des moyens correspondants suffisants.
Le justiciable trouve que le système l’exclut plus du système judiciaire qu’il ne l’inclut ; les plafonds d’accès étant trop bas, la procédure à suivre trop complexe.
Les avocats considèrent que la charge des missions d’aide juridictionnelle est devenue trop lourde dès lors que les barèmes sont déconnectés de la complexité des affaires, la rétribution étant alors insuffisante.
L’Etat, dans un contexte budgétaire contraint, cherche à tout prix à se désengager, signant ainsi son déshonneur, en essayant de trouver des sources de financement extérieur dont certaines sont contestables dès lors que la solidarité nationale y est absente :
- Droit de timbre,
- Taxation du chiffre d’affaires des cabinets d’avocats, des CARPA,
- Structure dédiée, conventionnée…
De défilés en négociations, de gouvernements de droite en gouvernement de gauche, de renouvellement de nos institutions représentatives ordinales en renouvellement de notre seule représentation nationale, les mauvaises idées sont chassées par la porte, revenant par la fenêtre, la cheminée, les trous de serrure au détriment tant des justiciables que des avocats, et au final de notre système judiciaire.
Ainsi dans les cartons, nous devrions voir revenir le droit de timbre, et les structures conventionnées :
- Le droit de timbre est un non-sens en termes d’accès à la justice, dès lors qu’il instaure une barrière à l’entrée des prétoires, rompant ainsi le principe d’égal accès au juge ;
- Les structures conventionnées[2] (des structures libérales, qui après avoir signé une convention soit avec la Chancellerie, soit avec les Ordres, seraient en charge des dossiers à l’aide juridictionnelle) quant à elles auront nécessairement pour effet de restreindre les marchés locaux de prestation juridique au profit des seuls cabinets conventionnés, leur conférant ainsi un avantage concurrentiel dont ils ne bénéficieraient pas par les seules vertus du talent, du mérite et du marché[3].
Ce risque est d’autant plus accru que certains cabinets structurés y voient la possibilité d’ouvrir des filiales low cost, et militent pour une défiscalisation à la clé.
Ces structures auront également pour effet de restreindre voire d’empêcher la possibilité de développer une clientèle libérale hors du cadre des dites conventions, de mettre les cabinets conventionnés en situation de dépendance économique, et de limiter les perspectives de carrière des avocats concernés.
Pourraient aussi revenir les structures dédiées, qui seraient des structures ordinales. Cette solution expérimentée à Lyon, et abandonnée depuis, met l’avocat dans un lien de subordination avec son Ordre, et en fait un quasi-fonctionnaire. Une solution inacceptable car contraire à notre principe d’indépendance[4].
Ces bruits de couloir non seulement n’augurent rien de bon, mais surtout attestent une nouvelle fois du manque d’ambition de nos gouvernants pour notre système judiciaire, et le peu de crédit qu’ils accordent aux justiciables.
Il est plus que temps d’avoir une vision, un cap et une ambition pour la justice.
Le temps des mesurettes est finie.
Doit venir le temps de la décision[5] et donc de l’action.
Les solutions existent, l’UJA de Paris et sa fédération nationale[6] disposent d’une doctrine en ce sens prête à l’emploi :
- création d’un Fonds pour l’accès au droit et à la justice recevant et gérant la dotation annuelle de l’Etat, ainsi que les financements complémentaires dédiés ;
- dématérialisation intégrale du dossier de demande d’aide juridictionnelle, de sa gestion, ainsi que de toute communication avec les avocats, prioritairement à partir de la plate-forme E-barreau,
- rationalisation du système de l’aide juridictionnelle aux fins de réaliser des économies substantielles à l’Etat, permettant à l’Etat de stopper son désengagement et de redevenir un contributeur substantiel du système de l’aide juridictionnelle, retrouvant alors un peu de son honneur perdu,
- mise en œuvre de financements complémentaires pour l’accès au droit et à la justice, par le biais des mesures suivantes :
- taxation de l’ensemble des actes faisant l’objet d’un enregistrement ou d’une publicité légale, peu important la qualité de leur rédacteur ;
- taxation de l’ensemble des primes et des cotisations des contrats d’assurance souscrits en France ;
- contribution sur l’ensemble des décisions de justice, celle-ci étant due par tout succombant ;
- une véritable rémunération des avocats, fondée sur un indice de référence correspondant à un taux horaire calculé en fonction des charges incompressibles du cabinet et de la prestation intellectuelle avec indexation a minima sur le SMIC. Précisons que les Avocats ne souhaitent pas une revalorisation du budget de l’aide juridictionnelle pour réaliser des profits, mais pour ne pas avoir à pallier la carence de l’Etat à un coût insupportable pour la viabilité des Cabinets, et ce dans le seul souci de garantir la pérennité de l’accès au droit et à la justice, quelque soit la situation de fortune des justiciables[7].
La mandature à venir au CNB aura fort à faire sur l’aide juridictionnelle. Des voix dissonantes se font régulièrement entendre au sein de la profession et se sont dernièrement encore exprimées à la dernière Convention Nationale des Avocats à Bordeaux, certains sacrifiant l’intérêt général sur l’autel de l’intérêt personnel.
L’égal accès de tous à la justice ne doit souffrir d’aucun compromis.
Cet égal accès doit être effectif.
C’est l’honneur de notre profession d’en être le gardien vigilant.
Tel a été le sens des combats des élus UJA lors de la dernière mandature, tel sera le sens des combats qui seront menés par les candidats UJA au CNB pour la prochaine mandature si vous leur faite l’honneur de vos suffrages.
Notes : [1] Rapport d’information « L’aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle », fait par M. Roland du Luart, au nom de la commission des finances du Sénat, n° 23 (2007-2008). [2] Motion FNUJA « Non aux structures conventionnées », Congrès de Marseille, Mai 2013 ; Motion FNUJA « Structures conventionnées : non, c’est non ! », Congrès d’Antibes, 31 mai 2014. [3] Motion UJA de Paris en réaction aux propositions 31 et 47 du Rapport Avocats engagés pour un Etat de droits du groupe de travail Accès au droit et à la justice de la Conférence des bâtonniers, 3 septembre 2016. [4] Motion FNUJA « Structures conventionnées : non, c’est non ! », Congrès d’Antibes, 31 mai 2014. [5] Rapport d'information de Mme Sophie JOISSAINS et M. Jacques MÉZARD, fait au nom de la commission des lois : Aide juridictionnelle : le temps de la décision, n°680 (2013-2014). [6] Motion FNUJA financement de l’aide juridictionnelle, Congrès d’Antibes, 31 mai 2014 ; Motion FNUJA rationalisation du système de l’aide juridictionnelle, Congrès de Nantes, 13 au 17 mai 2015 ; [7] Motion UJA de Paris sur le Rapport Le Bouillonnec, 20 octobre 2014.