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« Faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat était un engagement présidentiel »[1]… « Les femmes seront les grandes gagnantes du système universel »[2]… « Le système universel n’aura pas d’impact négatif pour la profession d’avocat »[3]…
Alors que le Gouvernement continue à marteler que le projet de réforme des retraites serait, d’une part, profitable à la profession d’avocat et, d’autre part, très favorable aux femmes, au point de faire de la lutte en faveur de l’égalité un argument marketing en faveur de sa réforme, les conséquences de celle-ci seront en réalité désastreuses pour les avocates.
Bien que la situation tende récemment à s’améliorer, la profession d’avocat demeure encore largement empreinte d’inégalités entre les femmes et les hommes. Or, la retraite fonctionne en effet comme un « miroir grossissant de l’ensemble des inégalités créées tout au long de la carrière »[4]. Ainsi, outre les conséquences négatives de la réforme pour les femmes en général, déjà soulignées par de nombreux experts, les avocates subiront également de plein fouet les conséquences de la réforme propres à leur profession. Subissant cette double peine, les avocates seront les premières victimes de cette réforme.
Les avocates, premières victimes du passage au régime universel
La suppression du régime autonome de retraites des avocat.e.s et le passage au système universel aboutirait à la disparition de 30 à 40% des cabinets d’avocats français, en raison principalement de la forte hausse des cotisations.
Les avocat.e.s et les cabinets les plus impactés seraient naturellement les plus fragiles financièrement. Ces derniers seraient, de fait, en incapacité de faire face à une telle augmentation de leurs cotisations, à l’alignement des rétrocessions d’honoraires de leurs collaborateurs.trices, et ne pourraient en tout état de cause imposer une hausse équivalente de leurs honoraires à leurs clients.
Ce constat, inquiétant pour la profession dans son ensemble, masque une réalité par ailleurs très genrée des conséquences négatives de la réforme.
En effet, comme l’illustre une enquête récente menée par le Défenseur des Droits et la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA), la profession est « jeune et largement féminisée » et « se caractérise par des inégalités marquées entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse des statuts d’exercice, des secteurs d’activités et des revenus »[5].
Ainsi, alors que les femmes sont majoritaires dans la profession depuis 1985[6], elles sont largement désavantagées dans l’accès aux revenus les plus élevés :
- Les avocates sont surreprésentées dans les domaines les moins rémunérateurs : à titre d’exemple, en droit des affaires les hommes sont 57,9% (contre 42,1% de femmes) tandis qu’en droit de la famille ils ne sont que 33,4% (contre 66,6% de femmes) ;
- Les avocates sont minoritaires parmi les associés (seulement 36,9% contre 63,1% d’hommes) ;
- L’écart de rémunération entre les avocates et les avocats et de loin supérieure à la moyenne nationale, puisqu’en moyenne une avocate gagne 36% de moins qu’un avocat[7]!
Les avocates souffriront dès lors encore davantage que leurs confrères de la hausse inéluctable des cotisations à laquelle aboutirait la réforme du régime des retraites (notamment parce qu’il est impensable, sur le plan économique, de répercuter la hausse de cotisations sur les honoraires dans les matières où les avocates sont surreprésentées).
Ce sont bien, au premier chef, l’activité et les cabinets des avocates qui sont en péril.
Ces enjeux centraux et censés appartenir à la « grande cause du quinquennat » sont totalement absents des propositions présentées, pour tenter de répondre aux inquiétudes de la profession, par un Gouvernement manifestement totalement déconnecté de la réalité de la profession d’avocat.
La fin d’un régime autonome solidaire
Bien qu’encore imparfaite à de nombreux égards, la profession d’avocat organise des mécanismes forts de solidarité et se montre même précurseure dans certains domaines[8]. Ainsi, le régime autonome de retraites des avocats qui, rappelons-le, ne coûte rien au régime général et s’autofinance, sert une pension de retraite de base d’environ 1.400 euros par mois, pour toute carrière complète, quel que soit le niveau de revenus.
Cette retraite de base, particulièrement favorable aux avocat.e.s percevant les plus bas revenus et à celles et ceux ayant eu une carrière hachée, constitue un mécanisme de protection qui bénéficie statistiquement d’abord aux avocates. En effet, les études récentes[9] montrent que ces dernières – outre leur plus faible niveau de rémunération – connaissent des carrières bien plus hachées que les avocats hommes : temps partiels subis, congés maternités, départs temporaires ou définitifs de la profession… tous ces mécanismes touchant la société dans son ensemble se retrouvent de manière encore plus marquée chez les avocats.
Les congés parentaux, en particulier, demeurent encore une forte source d’inégalités entres femmes et hommes chez les avocats, comme dans beaucoup de professions libérales[10]. A cet égard, il est particulièrement surprenant que les femmes aient disparu des profils-types proposés par le Gouvernement pour évaluer les impacts réels de la réforme, ceux-ci étant fondés uniquement sur des profils masculins et sans-enfants, alors qu’en France, neuf femmes sur dix sont mères[11]. Le Gouvernement anticiperait-il en réalité – sans les assumer – les conséquences négatives de la réforme qu’il porte envers et contre tous.tes ?
La retraite de base de 1.400 euros mensuels garantie dans le régime autonome des avocats serait amenée à disparaître totalement dans le régime universel. En outre, cette pension de base est augmentée d’une pension versée par le régime de retraite complémentaire obligatoire, calculé par points.
Dans le régime universel, les pensions de retraite seraient calculées uniquement par points. Pour les plus faibles revenus, un minimum de pension est prévu, à hauteur de 1.000 euros[12]. Cette diminution de la pension « de base » (à laquelle il convient de rajouter le montant de la pension servie par le régime complémentaire obligatoire) de près d’un tiers est, pourtant, présentée par le Gouvernement comme une mesure en faveur des femmes.
En outre, le versement de cette pension – déjà réduite de 400 euros– est soumis à des critères excluant de facto un grand nombre de femmes et d’avocates en particulier : ce minimum de retraite ne serait, en effet, versé, qu’en cas de carrière complète au SMIC.
Quelle alternative offerte aux avocates particulièrement touchées par le phénomène des carrières hachées, pour lesquelles le « SMIC » n’est pas applicable et qui, en tout état de cause, ont pour certaines une rémunération inférieure au niveau du SMIC, malgré leurs sept années minimum d’études ?
Comment le Gouvernement peut-il parler de progrès social quand la disparition de la pension du régime de base et l’instauration d’un régime uniquement par points auront pour conséquence la reproduction au moment de la retraite des inégalités subies pendant la carrière ?
De la même manière, la prise en compte non plus des 25 meilleures années, mais de l’ensemble de la carrière aura pour effet de tirer les pensions vers le bas, en particulier pour les femmes avocates dont les rémunérations sont, tout au long de la carrière, bien inférieures et fluctuantes que celles de leurs confrères masculins[13].
Un rendez-vous manqué pour l’égalité professionnelle femmes-hommes
Comme le soulignait le Laboratoire de l’Egalité, la refonte du système des retraites devait être un levier important pour œuvrer en faveur de l’égalité réelle entre hommes et femmes[14]. Au contraire, la réforme envisagée par le Gouvernement ne ferait qu’accentuer les inégalités à raison du genre, en particulier chez les avocat.e.s.
Cette occasion manquée s’illustre jusque dans les mécanismes de la réforme présentés comme des points en faveur des femmes. Ainsi, la majoration de la pension de 5% dès le premier enfant s’avère en pratique très risquée, puisque l’attribution de celle-ci à l’un ou l’autre des parents est renvoyée au choix des couples, qui auront naturellement tendance à la donner aux hommes dont les revenus sont en moyenne supérieurs, en particulier chez les couples d’avocats en raison des fortes inégalités de revenus.
C’est aussi réduire l’avocate à une notion de maternité… Ce qui, en 2020, constitue une appréciation particulièrement rétrograde de la femme.
De même le système de pensions de réversions envisagé par la réforme pénalise les femmes divorcées et ignore la situation des femmes non-mariées, alors même que le nombre de divorces et d’unions libres est en constante augmentation, notamment chez les avocat.e.s..
Ainsi, alors que le Gouvernement aurait pu se saisir de cette occasion pour déployer, enfin, des moyens de lutte concrets et efficaces contre les inégalités femmes-hommes, le régime universel de retraite proposé ne fait qu’accentuer les inégalités subies par les femmes tout au long de leur carrière, renforçant aussi la dépendance des femmes à l’égard des hommes et tous les risques qui en résultent notamment dans les cas de violences conjugales[15].
Pire, le Gouvernement entend mettre fin au régime autonome et solidaire des avocat.e.s pour le remplacer par des mesures inadaptées aux problématiques réelles de la profession, ce qui aura pour conséquence inévitable de pénaliser structurellement les femmes avocates, en particulier les plus jeunes.
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Forte de ce constat alarmant, le Gouvernement et le Parlement doivent prendre la réelle mesure de l’impact catastrophique du projet de réforme pour les avocates et le coup d’arrêt marqué aux avancées en faveur de l’égalité réelle entre les sexes au sein de la profession.
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CE QU’IL FAUT RETENIR ?
- Le Gouvernement brandit l’égalité hommes-femmes comme un argument marketing pour défendre son projet de réforme des retraites, alors que les mesures annoncées ne feront que creuser les inégalités, en reproduisant dans la retraite les inégalités de carrière (réalité de notre profession) !
- Au regard de la structure de la profession (inégalités de rémunérations, surreprésentation des femmes dans les matières les moins rémunératrices, etc.), il ne fait aucun doute que les femmes avocates seront les premières victimes de la fin du régime autonome de retraites des avocats.
- 1400 euros mensuels sans condition de carrière ou de revenus minimum : c’est la retraite de base que peuvent toucher toutes les avocates. Il s’agit d’un montant plancher augmenté d’une pension versée par le régime complémentaire obligatoire. 1.000 euros mensuels à condition d’avoir eu une « carrière complète au SMIC », c’est ce que propose le Gouvernement. Serait-ce cela le progrès social dont se targue le Gouvernement ?
- Le Gouvernement entend ainsi mettre fin à un régime fonctionnel, qui assure une solidarité forte en matière de retraites et est particulièrement favorable aux femmes. Les avocates subiraient de plein fouet, encore davantage que leurs confrères masculins, l’entrée dans le régime universel !