Affiches Parisiennes : Vous avez récemment été élu président de l’UJA, pouvez-vous vous présenter ? Thomas Charat : J’ai prêté serment en 2006. J’ai ensuite fait mes armes dans des cabinets de droit public traditionnels et dans des cabinets anglo-saxons. Le fruit de ces deux expériences m’a conduit à monter mon cabinet, il y a trois ans. J’exerce en droit public, droit de la concurrence avec un volet compliance et lobbying. Depuis le 1er juillet 2016, je suis, pour un an, le nouveau président de l’UJA de Paris.
A.-P. : Au sein de l’UJA, vous aviez précédemment des responsabilités ? T. C. : Je suis à l’UJA depuis 2006. L’année dernière, j’étais Premier vice-président. J’avais précédemment été secrétaire général et trésorier.
A.-P. : En tant que président de l’UJA de Paris, quels sont vos objectifs et vos priorités ?
T. C. : J’ai placé mon mandat sous le signe de l’entrepreneuriat, en n’oubliant pas que nous sommes à la fois des entrepreneurs et des prestataires de droit au service des entreprises comme des particuliers. A la tête du syndicat, je souhaite accompagner les confrères sur le chemin de la modernisation. Cette ambition passe par beaucoup de pédagogie et d’explication sur les sujets concernant l’évolution de la profession et des formations dédiées pour permettre aux avocats d’être plus productifs et plus au fait des innovations. J’en veux pour preuve l’excellent travail qui est mené au Conseil national des barreaux sur l’acte d’avocat électronique, sur le Cloud... Je constate que tous les confrères ne connaissent pas ces outils ou ne les utilisent pas encore. J’aimerais donc mettre en place des formations pour qu’ils s’approprient ces atouts informatiques qui sont actuellement à leur disposition afin d’améliorer leurs services et d’en proposer d’autres.Les clients ont aujourd’hui de nouveaux modes de consommation du droit qui, à mon sens, sont tout à la fois le reflet d’un changement de génération, d’un environnement économique difficile et de l’arrivée des legaltech. Ce contexte constitue pour nous une opportunité de repenser notre offre. Particuliers et entreprises veulent à présent des packages, davantage de visibilité et de transparence. A nous de repenser nos modèles économiques.
A.-P. : Vous avez également lancé un nouveau site internet... T. C. : C’est un projet initié en 2014, repris par la précédente présidente, Aminata Niakate, et par Frédéric Perrin, qui est aujourd’hui le trésorier de l’UJA. Ce travail de longue haleine a débouché sur la modernisation du site existant. A présent, il permet, par exemple, aux confrères d’adhérer en ligne.
A.-P. : Quels sont les moments clés de votre mandat ? T. C. : Ils sont multiples. Il y a tout d’abord la Journée du jeune avocat (JJA) qu’on organise le 20 octobre prochain à l’EFB. Cette 10e édition reste dans l’esprit de son créateur, notre président d’honneur Romain Carayol. Elle se déroule sur une journée, en un seul lieu. A travers un forum de recrutement et des formations spécifiques, elle est dédiée au début de carrière du jeune avocat à son projet professionnel, à son installation, à l’association etc.
Outre cet événement, il y a en principe deux temps forts au cours d’une présidence à l’UJA de Paris. Durant le premier semestre, le président imprime sa vision. Au second semestre, il est davantage dans le passage de relais pour que l’institution continue à fonctionner, à innover, à réfléchir et à offrir les meilleurs services à l’ensemble des confrères. Cette présidence est également marquée par des temps politiques, comme l’élection au Conseil de l’ordre pour laquelle l’UJA de Paris a cette année désigné deux candidats, Maxime Eppler et Herveline Rideau de Longcamp. Tous deux sont de jeunes associés exerçant dans les domaines du droit de la famille et du droit du patrimoine. Herveline est l’incarnation des travaux de l’UJA sur l’égalité et sur l’entrepreneuriat. Elle a monté son cabinet en élevant quatre enfants, donc en préservant une vie de famille pleine et entière. Le parcours de Maxime montre que l’on peut encore par sa technicité, sa force de travail et son talent s’installer et exercer dans des domaines traditionnels. Tous deux ont connu toutes les facettes de la collaboration libérale, de l’installation, de l’association. Ils ont une force de travail impressionnante. Une chance pour notre ordre, nos confrères, notre syndicat.
Les élections des délégués à la CNBF –Caisse nationale des barreaux français, ndlr– sont également un temps fort de mon mandat. Pour la première fois, nous allons soutenir une quinzaine de candidats dont les noms seront prochainement dévoilés. L’UJA de Paris a été la première, il y a maintenant trois ans, à prendre ce sujet à bras le corps, avant qu’il soit porté au niveau national par la FNUJA. Au moment des réformes entreprises par la CNBF et l’augmentation des cotisations, nous avons été les premiers à dénoncer ces augmentations et à demander des explications. L’opacité est pourtant restée de mise. Nous devons à présent avoir des représentants au sein de cette institution pour pouvoir continuer le travail entrepris.
Concernant l’élection au bâtonnat, nous observons depuis plusieurs années une stricte neutralité durant la campagne. Nous organiserons –la date sera prochainement fixée– un débat avec les candidats qui nous permettra d’interroger les équipes en lice.
A.-P. : Quelles sont aujourd’hui les difficultés que rencontrent les jeunes avocats pour s’installer ? T. C. : Dans un contexte économique difficile, la première difficulté que rencontre aujourd’hui un élève avocat est évidemment de trouver sa première collaboration. C’est un constat que nous faisons depuis plusieurs années. Cet obstacle a plusieurs causes. Au-delà même du contexte économique apparaît parfois une inadéquation entre la formation initiale et les besoins du marché. Dans des domaines pointus, pour des avocats très spécialisés, l’offre n’existe pas nécessairement. Il y a peut-être aussi une méconnaissance de la profession et de son caractère libéral.
Les perspectives de carrière posent d’autres difficultés. Une partie des élèves n’a tout d’abord pas vocation à rester avocats. Au-delà de la carte de visite avantageuse, ces jeunes ne semblent pas réellement motivés par l’exercice. D’autres sont plutôt des techniciens attachés à la profession d’avocat, au serment, à la robe, à l’exercice... Pour autant, sans réelles appétences pour le volet commercial de la profession, ils n’ont pas forcément l’envie d’entreprendre. Ces derniers évoluent au sein d’une structure et se trouvent bloqués au moment du développement d’un parcours d’association. Il nous faut alors mener une vraie réflexion, soit du point de vue du statut, soit du point de vue de la philosophie de management. A travers cette séniorité et cette compétence technique, il faudrait peut-être pousser ces avocats à l’association, sans l’obligation de développer une clientèle, mais en apportant de la richesse au cabinet par leur technicité et par la fidélisation de la clientèle existante. Un tel parcours d’association, avec des règles spécifiques, notamment en termes de répartition, pourrait voir le jour. La troisième catégorie d’élèves, assez étonnante, regroupe des jeunes qui ont vraiment l’esprit entrepreneurial. Ils veulent rapidement avoir leur structure, développer leur marque... C’est aussi une question de génération. Ils me font penser aux étudiants des écoles de commerce ou d’ingénieur qui disposent déjà d’une junior entreprise. Nous voyons également ce phénomène chez nous. Pour ces trois typologies d’avocats, les institutions et les syndicats doivent apporter des réponses spécifiques.
A.-P. : Doivent-ils également prendre en compte le phénomène de la modernisation de la profession, notamment avec l’émergence des legal start-up ? T. C. : Tout à fait. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous avons un virage à prendre. Les premières legal start-up sont intervenues sur des marchés que nous avions délaissés en nous cantonnant à notre système de facturation, à notre rapport au client finalement assez désuet. Nous devons dépasser cette pratique un peu datée de l’avocat qui estime être un homme de l’art et non un prestataire de services, en menant une réflexion sur les honoraires. Nous avons négligé les petits contentieux devant le tribunal d’instance à cause d’une rémunération sans rapport avec l’enjeu des litiges. Les legal start-up ont repris ces marchés, certes avec moins de compétences, moins de plus-value, mais à travers un tarif très attractif pour le justiciable et une forte réactivité due aux process digitaux.
Cette situation doit nous amener à réfléchir. Nous devons repenser nos offres, peut-être davantage sous forme de packages, à la fois pour les particuliers et les entreprises, même si le tarif horaire continue à se justifier pour certains dossiers très complexes.
Dans les grandes entreprises, les avocats passent à présent par le service “achat”. Ils sont devenus des prestataires de service comme les autres. Même si les directions juridiques ou les directions des ressources humaines les recommandent, le final cut reste au service achats qui a d’ailleurs beaucoup de mal à comparer les coûts au regard des prestations que proposent deux confrères. A nous d’être plus pédagogues, plus transparents. L’UJA a d’ailleurs toujours été pour les conventions d’honoraires qu’impose aujourd’hui la loi Macron. Les entreprises plus petites ont pour leur part besoin de davantage de visibilité. Nous devons donc mieux penser nos offres et nous moderniser en utilisant les outils informatiques. Tout cela a un coût. C’est pourquoi l’UJA est également favorable à l’ouverture de nos cabinets à des investisseurs pour mettre en œuvre cette révolution numérique sous réserve – bien sûr – que le strict respect de notre déontologie soit assuré -. Elle est notre bouclier et notre arme sur nos marchés, elle ne doit pas être dévoyée.
A.-P. : Comment voyez-vous l’avenir du jeune avocat ? Passe-t-il par l’interprofessionnalité ?
T. C. : La profession va affronter de nombreuses transformations. Son développement passe tout d’abord par une interprofessionnalité respectueuse de nos principes essentiels au sein de laquelle nous ne devons pas être dans une position de dépendance par rapport aux professionnels du chiffre. Nous sommes tout autant qu’eux des apporteurs d’affaires. Nous devons être à égalité au sein des structures et collaborer pour conquérir des marchés et proposer la meilleure prestation possible. Le développement de la profession d’avocat passe également par une communication plus claire de notre travail et de notre plus-value auprès des entreprises. Une récente étude de l’observatoire du CNB montre que les TPE et les PME ont un réel besoin de droit, mais qu’elles ne savent pas forcément à qui s’adresser. Il y a, là aussi, un dépoussiérage à entreprendre. Je pense notamment à des initiatives comme celle de l’Agence des nouveaux avocats qui vient de lever des fonds importants pour étendre sa franchise, en choisissant de s’installer en rez-de-chaussée, avec la même signalétique que les assureurs. Au départ, ses créateurs pensaient n’intéresser que les particuliers. Ils ont progressivement accueillis des PME, des TPE, des artisans... En l’occurrence, leur conception de l’accessibilité a parfaitement répondu aux besoins de droit.Actuellement, la commission droit et entreprise du CNB, présidée par une élue UJA de Paris, travaille avec le ministère de l’économie, les chambres de commerce et d’industrie et l’Agence France Entreprendre, notamment, pour mettre en place le réseau Transmettre & Entreprendre qui positionne les confrères comme interlocuteurs privilégiés des entreprises. Les entrepreneurs perçoivent parfaitement ce service qui répond précisément à leur besoin de droit.
Je suis donc optimiste. C’est à nous tous, avocats, institutions et syndicats, à porter cette bonne parole en étant didactiques, pédagogues, et en donnant aux confrères les outils nécessaires pour conquérir de nouveaux marchés.
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